Il y a quelques jours, Laura, la créatrice du blog Madame Shiitake, m’a invitée à réfléchir à ce qui me faisait me sentir vivante. Laura et moi, nous avons presque le même âge, un parcours professionnel similaire et une véritable passion pour le voyage, au sens large. En acceptant de participer à ce challenge interblogueurs, j’ai réellement pris conscience de la place que prenait le voyage dans ma vie, et je l’en remercie. Faut-il voyager pour se sentir vivant ? C'est une question à laquelle je pensais répondre bien plus facilement.

Vivre pour voyager

Lorsque j’étais petite, un globe terrestre lumineux trônait fièrement sur ma table de chevet. Le soir, avant d’aller dormir, je m’amusais à le faire tourner, à l'observer, à me questionner. Les toucans existent-ils vraiment ? Qui peut bien vivre sur l’île de Pâques ? Aurais-je un jour la chance de visiter l’Opéra de Sydney ?

Certains diraient qu’à cette époque, je n’avais jamais vraiment voyagé. Moi, j’avais l’impression de l’avoir toujours fait. Tous les étés, je partais en vacances avec ma famille. Et même si nous ne quittions pas la France, ces quelques semaines loin de la maison éveillaient toujours ma curiosité. La chaleur du Pays basque, l’odeur des forêts landaises, le goût de la brioche vendéenne : je me souviens parfaitement de cette agréable sensation de nouveauté.

Plus tard, ce sont les voyages scolaires qui m’ont permis de traverser des frontières. Pour la première fois, j’étais confrontée à des langues, des croyances et des cultures que je ne connaissais pas. Du haut de mon adolescence, je ne cessais de comparer le quotidien de chacun de mes hôtes à ma vie en France. J’avais l’impression que les Italiens parlaient plus fort, que les Anglais étaient plus extravagants, et que les Espagnols faisaient souvent la siesta. Plus j’en apprenais sur mes voisins, plus j’avais l’impression que rien n'était mieux ou moins bien. Tout était simplement différent, et je trouvais ça fascinant.

C’est à la fin de mes études que j’ai enfin réalisé que voyager ne consistait pas simplement à se déplacer d’un point A à un point B. Alors après avoir passé un semestre à Londres, je me suis promis d’élargir mes horizons dès que j’en aurais l’occasion. Et c’est ainsi que mes premiers salaires d’enseignante m’ont menée aux quatre coins de l’Europe. Au fil des années, les week-ends se sont transformés en semaines, et les semaines sont devenues des mois. Je partais de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps. Mon sac, quant à lui, était de plus en plus léger, et mes trajets de moins en moins dessinés.

Chaque aventure m’apportait son lot de connaissances et j’apprenais sans cesse à développer de nouvelles compétences. Loin de ma routine bretonne, je prenais confiance en moi. Je me sentais vivante dans l’action, à l’aise dans l’inconfort et heureuse dans l’inconnu.

Voyager pour vivre

Plus les années passaient, plus je préférais l’aventure au repos. Alors en 2019, le temps de quelques mois, j'ai décidé de troquer mon boulot pour un plus gros sac à dos. Sans le savoir, ce qui devait être le voyage d’une vie allait bientôt se transformer en une vie de voyages.

Le programme était simple et l’itinéraire tout tracé : un mois, un pays visité. Mais une semaine après avoir foulé le sol argentin, les projets avaient déjà changé. Sans expérience, mais bien accompagnée, je me retrouvais à tendre le pouce sur le bord de la route. Durant 3 mois, j’ai visité la Patagonie au rythme des camionneurs qui nous prenaient en stop, Guillaume et moi. Nous ne savions jamais où nous allions dormir ni ce que nous allions manger. Chaque matin nous donnait l’impression qu’hier était déjà bien loin, et nous ne pouvions jamais planifier demain.

À ma grande surprise, je prenais beaucoup de plaisir à vivre au jour le jour. Je me souviens même de me demander s’il ne suffisait pas de profiter de l’instant présent pour se sentir vivant. Ce qui était certain, c’est que je préférais dormir dehors par 0°C, plutôt que de retourner travailler. Depuis plusieurs années déjà, j’étais persuadée que tout ce que je faisais en France était dénué de sens. Contrairement à ce qu’on m’avait prédit, la sécurité de l’emploi ne me rassurait pas. Elle m'emprisonnait dans un système qui ne me convenait pas. Je regardais les années passer en attendant les prochaines vacances, le prochain week-end ou la prochaine soirée. Je pensais vivre pour voyager, mais je voyageais pour fuir. Alors après la pandémie, je me suis reconvertie, puis je suis repartie.

Cette fois-ci, c’est en Équateur que nous avons atterri. Et c’est en poussant la porte d’une petite auberge de jeunesse au bord de l’océan Pacifique que j’ai cru trouver mon futur lieu de vie. Nous y avons travaillé bénévolement pendant des mois en profitant des petits bonheurs que nous apportait la vie en communauté. Dans ce quotidien fait d’expériences et de rencontres, je vivais l’instant présent en regardant s’étirer le temps. Mais peut-on encore parler de voyage lorsqu’on reste immobile si longtemps ? Ce qui est certain, c’est qu’à cette époque, j’avais la sensation amusante d’être une fleur plantée au bon endroit.

À ma grande surprise, je n’ai pas réussi à toucher ce bonheur du doigt en sillonnant la Nouvelle-Zélande en van aménagé. Pourtant, je reste persuadée qu’il s’agit du plus beau pays que je n’ai jamais visité. Mais après avoir passé 5 années sur les routes du monde, je commence à comprendre que ce n’est pas le voyage qui me fait me sentir vivante. C’est tout ce qui en découle. C’est découvrir l’apnée, le surf et l’alpinisme. C’est me faire de nouveaux amis, apprendre à me connaître et rire aux éclats. C’est expérimenter, dépasser des peurs et être fière de moi.

Alors, faut-il voyager pour se sentir vivant ? Je ne pense pas. D’ailleurs, tout ce que je viens de citer peut certainement se vivre à deux pas de chez soi. On peut expérimenter en débutant la pratique d’un sport ou d’un instrument, apprendre auprès de ses collègues de travail, et rencontrer des personnes merveilleuses en fêtant un anniversaire dans un bar ou en déposant ses enfants à l’école. Mais à titre personnel, c’est loin de chez moi que j’apprends le mieux à me connaître, loin de tout ce que je suis censée être.

Aujourd’hui, je ne ressens ni le besoin de voyager pour vivre ni celui de vivre pour voyager. J’ai envie de faire une pause dans cette vie d’aventures pour enfin mettre en pratique tout ce que ces voyages m’ont apporté. Jusqu’au prochain départ.