De toutes les villes par lesquelles nous avons transité ces dernières années, aucune n’est comparable à Valparaiso. Non pas qu’elle soit plus attractive qu’une autre mais son charme est si atypique qu’il en devient difficile d’émettre un avis raisonné sur ce qu’elle dégage. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, j’ai la sensation que nul ne peut rester indifférent face à la singularité de cette métropole colorée.
Une ville unique à la topographie étonnante
Valpo (pour les intimes) est à la fois le premier port et la seconde ville du pays. Située sur la côte Pacifique, elle ne se trouve qu’à quelques kilomètres de Santiago, ce qui lui vaut la présence de nombreux visiteurs journaliers. Et puisque tous s’accordent à dire qu’elle fait partie des incontournables au Chili, nous avons décidé d’y passer trois jours complets.
L’originalité de Valparaiso réside non seulement dans ce qu’elle dégage mais aussi dans la manière dont elle est organisée. Imaginez un enchevêtrement de collines à flanc de montagne sur lesquelles trônent de petites maisons colorées. Ces collines se nomment ici « cerros » et chacune d’entre-elle abrite un quartier. Cela va sans dire, les mollets sont clairement les muscles les plus sollicités lors d’un séjour à Valpo !
Pas à pas, nous découvrons l’hétérogénéité du Cerro Alegre, la modernité du Cerro Bellavista ou encore les couleurs du Cerro Concepción, pour n’en citer que les plus célèbres. Pour le reste, nous ne pouvons que vous conseiller de laisser le hasard guider votre instinct car les surprises sont nombreuses dans la ville aux mille couleurs.
Heureusement, nous pouvons saluer la présence de nombreux ascenseurs et funiculaires. Aussi utiles pour les pressés que pour les curieux, ils permettent de prendre de la hauteur sur la ville et mettent en relief ses spécificités. Les points culminants offrent un autre regard sur les fresques qui ornent certains grands bâtiments tandis qu’en contrebas, l’extrémité du centre rejoint l'espace portuaire. Il ne s’agit peut-être pas de la zone la plus palpitante d’un point de vue touristique mais je me réjouis à l'idée de savoir que mon grand-père y accostais le siècle passé.
Capitale du street-art ...
Valparaiso est avant tout célèbre pour son art de rue. Ses œuvres les plus connues sont d’ailleurs régulièrement mises en avant sur les réseaux sociaux. Mais une fois sur place, c’est tout un univers qui s’offre à nous. La ville est un musée à ciel ouvert ; chaque mur, chaque porte, chaque plinthe, chaque escalier est orné du plus vaste dessin au plus petit graffiti.
Nous apprenons d’ailleurs lors d’un free walking tour qu’un accord tacite existe entre les propriétaires de maisons et les artistes. Autoriser une fresque sur sa façade empêcherait la multiplication de tags sur celle-ci. Il s’agit d’un choix très personnel mais je dois avouer que dans ce contexte, je ne serais pas contre l’idée de m’associer au style d’un artiste dont je partage les valeurs pour décorer ma maison.
Dans une toute autre mesure, l’immensité de certains « murales » (fresques murales) est fascinante. C’est le cas des quatre saisons réalisées sur quatre grands édifices par le couple d’artistes Un Kolor Distinto. Leurs dessins colorés et plein de vie mettent toujours en scène un personnage masculin et féminin, à leur image, en faisant ressortir leur personnalité au travers de détails. Et bien que localisé en milieu urbain, la nature joue un rôle prépondérant dans leur travail, à l’instar de bon nombre d’artistes de la région.
Mais si leur art est reconnu et accepté par les autorités, ce n’est pas le cas de tous. La très grande majorité doit œuvrer dans l’ombre, sous peine de se faire embarquer par la police. Comme toujours, l’art divise et les avis diffèrent. Pourtant je ne peux m’empêcher d’y voir l’âme de la ville, une manière saine d’échanger et de s’exprimer et un moyen de s’unifier à travers ses différences. C’est aussi ce qui fait le succès touristique de la région, engendrant d’ailleurs une certaine retombée économique. On ne peut le nier, nombreux sont les voyageurs qui, comme nous, font escale à Valparaiso pour satisfaire leur regard et leur curiosité.
Avec Guillaume, on s’attarde tout particulièrement sur les escaliers. Il y en a des centaines dans cette ville construite sur les hauteurs. Nous sommes fascinés par la multiplicité d’œuvres qui ornent les marches. Certains dessins ne s’aperçoivent qu’à la montée ou qu’à la descente, tandis que d’autre ne peuvent se décrypter que sous un certain angle ou depuis une distance bien précise. Lorsque les escaliers ne sont pas linéaires, les recoins deviennent alors une source d’inspiration épatante. Du dessin esthétique au croquis engagé, de la petite phrase joviale au jeu de mot contestataire, un rien est ici porteur de sens.
... en temps de contestations
Cela fait déjà 4 mois que le peuple chilien se soulève contre le gouvernement. Il réclame un changement de la constitution héritée de la dictature de Pinochet et une réduction des inégalités sociales. Mais Piñera, l’impopulaire président chilien, semble vouloir privilégier l’économie à l’accès aux ressources, à la santé ou à l’instruction. Les manifestations fleurissent alors dans tous le pays, menant malheureusement à de trop nombreuses incivilités de la part des "carabineros" (police chargée du maintien de l’ordre), accusés de violation des droits de l’homme à l’encontre de manifestants. Plus de 400 personnes ont notamment perdu la vue suite à leurs tirs et il ne s'agit là que du sommet de l'iceberg.
Aujourd’hui, les chiliens disent stop. Dans une ville engagée telle que Valpo, cela se traduit par des rassemblements mais surtout par des dessins. Cette forme d’expression pacifiste interpelle et remet beaucoup en question. Il n’est d’ailleurs pas rare que nous restions de longues minutes à les décrypter, les analyser et échanger à leur sujet. On remarque la présence d’œuvres récentes, crées dans le contexte actuel mais aussi la transformation de fresques plus anciennes, modifiées pour coller à l’histoire et aux revendications du moment. Certaines éclairent, d’autres dénoncent, toutes sont liées. A Valparaiso, l’art dégage la force d’un peuple qui se soulève à l’unisson pour un avenir meilleur, et c’est ce qui le rend si beau.
Les 5 sens en éveil
Une ville bruyante aux airs désorganisés
S’il est parfois difficile de percevoir toutes les œuvres qui défilent sous nos yeux, c’est parce qu’elles sont partout. Jusque sous les gouttières ou derrière les plaques d’égouts. Mais si on ajoute à cela l’étonnante topographie de la ville et les câbles qui se promènent entre chaque bâtiments, notre vue en devient sacrément perturbée.
Beaucoup parlent de désorganisation mais j’y verrais plutôt une sorte de bazar organisé. Un peu comme une chambre qui paraît mal rangée mais dont vous sauriez retrouver chaque élément en une seconde. Un bordel personnel quoi (je suis sûre que vous voyez de quoi je veux parler). Et bien ici on se sent un peu perdu au premier abord mais on voit que ce n’est pas le cas des locaux. Ils savent parfaitement quel escalier emprunter pour rejoindre une rue de la ville (alors que même Google Maps ne parvient pas à percevoir les différents plans d’altitude).
Même topo pour le bruit ; entre la musique qui résonne jusque sur les trottoirs, les appels des vendeurs ambulants et les voitures qui défilent dans les ruelles, il n’est pas si simple de rester concentré. Pour être parfaitement honnête, je pourrais vivre ici… 1 mois. Au-delà je pense que j’aurais besoin d’une cure de repos visuelle et auditive, haha !
Le goût de la mixité
Côté gustatif, on en a aussi vu de toutes les couleurs ! Étant donné sa position géographique, la ville a accueilli grand nombre de migrants au cours des siècles passés, ce qui se traduit par une forte mixité de population et par conséquent, de commerces. Nous en profitons donc pour découvrir deux spécialités de la cuisine vénézuélienne : les tequeños (un morceau de fromage entouré de pâte, servi en amuse bouche) ainsi que les arepas (une galette de maïs, également très présente en Colombie) ici garnie de jambon et de fromage.
Côté français, on a trouvé la perle rare chez Septima, une pâtisserie créer par Thomas Hengen en 2014. On y retrouve des macarons, des cannelés et même des palets bretons qui nous rappellent la maison. Nombreux sont les étrangers venus bâtir leur affaire ici. Dans un pays où le travail prime sur les diplômes, l’envie et la persévérance semblent souvent couronnées de succès.
Dans un autre contexte, la mixité sociale a été favorisée par la réhabilitation de l’ancienne prison (Ex-Carcel) en un immense centre culturel. L’accès gratuit permet de faire le premier pas et la diversité des activités proposées est époustouflante ; de la danse à la musique en passant par les arts visuels ou encore le jardinage, cet étonnant projet est salué par les habitants, à juste titre.
Combien de jours faut-il pour visiter Valpo ?
En ce qui nous concerne, trois jours n'étaient pas de trop. Je dirais même qu'il s'agit du minimum si vous ne souhaitez pas découvrir la ville au pas de course. Car Valparaiso est bien plus qu'une ville artistique. Elle est aussi le berceau d'une histoire, d'un peuple (les porteños), d'une organisation urbaine et d'une culture hétéroclite. On évoque ici une ville qui se visite à la fois avec les yeux, le coeur et le temps. Et avec un centre historique classé au patrimoine culturel de l’humanité par l’UNESCO, on ne peut forcément s'attendre qu'à de belles surprises.
Malgré les réticences de quelques chiliens qui jugent la ville sale et dangereuse, nous n'avons pas ressenti la moindre insécurité. Contrairement à ce que prônent les chaînes de la télévision nationale, la ville n'est pas plus dangereuse qu'une autre. Comme dans toute métropole, la vigilance est de mise et on ne peut que vous recommander de faire preuve de bon sens. Mais nous pouvons vous assurer que l'insécurité n'a pas fait partie du voyage et que nous reviendrions avec grand plaisir si l'occasion devait à nouveau se présenter.
Si vous êtes de passage dans la région de Santiago, il ne tient qu'à vous de rejoindre cette ville fascinante afin de voir de vos propres yeux ce chaos harmonieux. Et si vous connaissez une ville toute aussi étonnante, n'hésitez pas à la nommer dans les commentaires, on se fera un plaisir d'aller la visiter !
Conseils et informations :
Bus Pucón - Valpo : 22 000 CLP - 12 heures
Escarabajo Hostel : 5 500 CLP par personne et par nuit
Ascenseurs et téléphériques : 100 CLP (en moyenne)
Septima : 5 000 CLP (3 galettes, 2 pâtisseries, 4 macarons)
Laverie : 4 000 CLP à l'hostel Piola
Bus Santiago - Valpo : 3 500 CLP aller simple (en moyenne)
Free Walking Tour : pourboire à votre appréciation
Si vous en avez le temps et l'envie, il est possible de visiter la maison du poète Pablo Neruda et de se prélasser à la plage de Viña del Mar.