Alors que 2019 touche à sa fin, nous entamons la remontée de l’ouest de la Patagonie depuis Ushuaia. On profite d’une journée ensoleillée pour parcourir les 800 kilomètres qui nous séparent de Puerto Natales. Une fois de plus, l’auto-stop est un réel succès. On s’installe au camping Yellow Plum sur les conseils de notre dernière conductrice. Celle-ci nous indique que les trois jours à venir devraient être particulièrement ensoleillés. Une aubaine quand on sait ce que la météo patagone peut réserver à ses visiteurs !
Cette nouvelle aussi positive qu’inattendue nous vaut une énième discussion au sujet de Torres del Paine, un parc national chilien emblématique dans l’univers du trekking. Il est réputé pour ses différents niveaux de randonnées, son glacier et ses tours rocheuses que l’on retrouve jusque sur les billets de 1000 pesos chiliens.
Ces dernières années le parc a connu un tel succès que le visiter relève aujourd’hui d’un parcours du combattant ; chaque année les prix s’envolent tandis que les emplacements de camping s’arrachent comme des petits pains. Plusieurs retours extérieurs nous avaient dissuadés de nous y rendre mais nous sommes sur le point de changer d’avis, une fois de plus. Il va donc falloir penser budget et organisation.
Cet article retrace la préparation de notre trek autour de 4 axes : l’équipement, le parcours, les nuitées et la nourriture. Cette organisation n’engage que nous, les détails y sont donnés en toute transparence (financière également) dans le but de pouvoir vous aider à anticiper votre séjour dans le parc.
Jour 1 : Base Torres – 18 km – 8 h – 680 D+
Le réveil sonne aux aurores en cette dernière journée de 2019. Nous quittons Puerto Natales en car à 7 heures du matin afin d’arriver à l’ouverture du parc pour 9 heures. Le soleil brille, comme prévu. On croise les doigts pour que ça dure et montons dans une navette qui nous mène au centre des visiteurs. C’est ici que les choses sérieuses commencent.
Sacs sur le dos, nous empruntons le sentier qui mène aux célèbres et majestueuses Torres. Il s’agit de notre premier trek en autonomie et même si nous pensons avoir réfléchi judicieusement au contenu de nos sacs, ils s’avèrent plus lourds que prévu. C’est une chose de les porter une heure pour traverser une ville mais s’en est une autre des randonner 8 heures avec... Bref, c’est en faisant des erreurs qu’on apprend !
La première partie de la randonnée monte constamment mais de manière acceptable. Nous sommes en forme et portés par l’énergie du premier jour. Le sol est un mélange de sable et de roches, ce qui peut s’avérer glissant. L’importance de nos appuis prend une toute autre dimension compte tenu du poids des sacs que nous assumons parfois difficilement.
Après 2 heures de pente montante nous entamons la seconde partie du trek. Le sentier est bien plus plat et offre une plus grande variété de paysages. La traversée de quelques ponts nous permet de se recharger en eau dans la rivière. Toutes les sources d’eau sont potables ici, et rien que pour ça, randonner en Patagonie est un luxe. On aperçoit quelques locaux qui descendent de la montagne à cheval. Il faut dire qu’on a pris pas mal de hauteur durant les premiers kilomètres, ce qui double la sensation vertigineuse que l’on ressent face aux premiers canyons que l’on aperçoit. Cette seconde section s’achève par des passages forestiers qui tombent à pic. Le soleil tape fort aux alentours de midi et c’est agréable de pouvoir profiter de la fraîcheur des arbres.
La troisième et dernière partie de l’ascension quant à elle se mérite. C’est ici que nous croisons les premiers abandons et retours anticipés. Le dénivelé s’accentue nettement et le terrain est bien plus accidenté. On pousse encore un peu sur les jambes en s’appliquant à ne pas glisser sur les millions de cailloux qui roulent sous nos pieds, jusqu’à ce que s’élèvent face à nous les tours tant attendues. Malgré les dizaines d’images que j’avais vu défiler sur Instagram avant notre départ, ce paysage a une toute autre saveur dans la réalité. Le vent souffle davantage, la neige recouvre la base des tours et le bleu glacial de la lagune est hypnotisant. On se trouve au cœur du paysage qui a donné son nom au parc, face à ces trois tours granitiques gigantesques qui s’élèvent avec grâce sous le regard émerveillé des randonneurs. Nous restons une heure et demie à grignoter nos sandwiches, assis sur un siège de pierre, une fois de plus frappés par la beauté et la grandeur de la nature. On assiste même à une demande en mariage... qui s’avère être une mise en scène pour les réseaux sociaux... Et oui, c’est le pendant négatif des lieux populaires, beaucoup de monde s’y précipite dans l’unique but de prendre la photo parfaite, ce qui peut parfois rendre les sentiers vraiment surpeuplés.
La redescente se fait plus rapidement mais est moins agréable pour les genoux. Malgré notre fatigue, l’arrivée au camping nous réserve une chouette surprise ; Francesco et Jara, avec qui nous vivions à Ushuaïa, viennent d’arrive au parc eux aussi ! C’est un plaisir de passer à la nouvelle année à leurs côtés. Le moment est enfin venu de nous séparer du poids de l’apéro que nous avons porté toute la journée : une bonne bouteille de Malbec, des chips à tremper dans un guacamole maison, quelques cacahuètes, un plat de pâtes en sauce et une tablette de chocolat. Nous fêtons ainsi l’entrée dans l’année 2020 un peu plus légers !
Jour 2 : Glaciar Grey – 22 km – 7 h – 427 D+
Pour la troisième fois depuis notre arrivée en Patagonie, le froid aura eu raison de mon sommeil. C’est donc avec une grosse fatigue que je démarre cette seconde journée dans le parc. Heureusement, le soleil tape fort dès qu’il se lève et je me réchauffe à la minute où il pointe ses premiers rayons. Guillaume, qui est bien moins frileux, a davantage d’heures de sommeil au compteur et parvient à se remettre d’aplomb plus rapidement. Nous voilà donc en route pour Pudeto, où nous devons embarquer à bord d’un catamaran dans le but de traverser le lac Pehoe. Pour rappel, nous sommes contraints de réaliser le circuit « W » de manière non-conventionnelle pour cause de pénurie de campings. Mais il y a un élément clé que nous n’avions pas anticipé : nous sommes aujourd’hui le premier janvier. Et qui dit jour férié, dit horaires modifiés. Nous embarquons donc avec deux heures de retard, en espérant que ce décalage ne compromette pas notre randonnée du jour au glacier Grey.
La demie heure de traversée est plus agréable que prévue. Debout sur le pont, nous admirons les sommets enneigés se dresser au-dessus des collines verdoyantes, surplombant elles-mêmes le bleu glacial du lac. A peine le catamaran accoste-t-il que Guillaume file monter la tente tandis que je me précipite à l’accueil pour nous y enregistrer. Il est 13 heures passées lorsque nous rejoignons le sentier de randonnée ; nous ne devons pas trainer si on souhaite rentrer du glacier avant la nuit (ce qui est plus que conseillé).
Une bonne moitié du chemin s’avère relativement plate et tranquille. Les miradors s’enchaînent, nous permettant ainsi d’apercevoir nos premiers glaçons. Il s’agit de blocs plus ou moins conséquents qui ont dérivé après s’être décrochés du glacier. Nous effectuons une pause sandwiches sous le vol des condors. Par la suite un second point de vue attire notre attention. Il s’agit d’une roche plate qui semble faire face à un vent très puissant (à en juger par le désastre capillaire des gens qui en reviennent). A notre tour, nous rejoignons cette estrade qui surplombe le vide et nous nous voyons contraints de marcher à 4 pattes pour ne pas nous faire coucher par le vent ! C'est aussi surprenant qu'impressionnant.
Nous faisons le plein de sensations fortes avant d’attaquer la partie plus complexe de la marche. Outre le vent qui forcit, le dénivelé se fait lui aussi bien plus présent. Nous voilà rendus à désescalader des roches glissantes le long d’un cours d’eau. On pense déjà à notre immense flemme de gravir tout ça au retour mais on se concentre sur le moment présent.
Nous ne sommes plus qu’à quelques pas du géant de glace et à notre grande surprise nous l’atteignons seuls. Autant j’avoue ne pas raffoler de la surpopulation en pleine nature, autant je ne suis pas tranquille à l’idée de nous retrouver isolés à 4 heures de marche du camping en cette fin de journée. Toujours est-il que si vous souhaitez éviter les foules, le jour de l’an est une date testée et approuvée !
L’avantage de cette solitude, c’est qu’on peut profiter du glacier Grey dans ses moindres détails. En tendant l’oreille, on entend les goutelettes qui tombent dans lac à la fonte du géant glacé. Certains blocs glissent eux aussi dans l’eau accompagnés d’un fracas assourdissant. On n’a pas fini de se sentir tout petit !
Passé 18h30, nous prenons la sage décision de rebrousser chemin dans le but d’arriver au camping avant la nuit. Si le touriste est roi en journée, une fois la nuit tombée, c’est le puma qui sort ses moustaches. Autant vous dire qu’on n’a pas prévu de se retrouver face à ce gros chat en pleine montagne. Nous demandons donc au camping Grey d’alerter notre camping (Paine Grande) de notre arrivée probable aux alentours de 22h et nous filons. Le retour se réalise bien plus vite que l’aller dans la mesure où on ne s’arrête à aucun mirador. Le sommeil nous tend les bras, il nous tarde de manger et de nous faxer dans notre duvet.
Jour 3 : Miradores Francés & Britanico – 28 km – 10 h – 856 D+
Cette nuit s’est montrée moins fraîche que la précédente et nous avons su en tirer profit. On saute dans nos baskets et engloutissons un bon petit déjeuner. Ce troisième jour de randonnée devrait être le plus difficile, avec 30 kilomètres à parcourir et 1000 mètres de dénivelé. L'objectif étant d'atteindre les deux miradors qui se trouvent sur notre trajectoire : le mirador Frances et le mirador Britanico.
On se met en jambes avec les 2h30 de marche qui nous séparent du camping Italiano. Ce dernier était plein lors de nos réservations mais il est vrai qu’on aurait gagné pas mal de temps à démarrer notre marche d’ici. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire pour économiser des forces. On s'y arrête le temps d'une courte pause puis on se remet en marche.
Au-delà d'être plus long, le trajet d'aujourd'hui est également plus raide que ceux des autres jours. C'est donc essouflés que nous atteignons le mirador Frances. Il a beau être situé à faible altitude, le glacier qu’il expose est extrêmement impressionant. Sa blancheur lui donne une impression de grandeur démesurée. On entend de forts retentissements dans sa direction qui sont en fait des avalanches. Je crois que c’est la première fois que je peux en voir à l’œil nu et de si près. C’est également la première fois que je réalise la puissance de la neige et le risque qu'une avalanche peut engendrer.
On se recharge en eau dans la rivière qui s’écoule en contrebas. Une chose est sûre, elle est fraîche ! Le trajet est encore long avant d’atteindre le Britanico. Assez long pour que je me déconcentre et que Nono en profite. Nono ? c’est le nom que Guillaume a donné aux branches que j’ai tendance à prendre en pleine tête quand je suis dans mes pensées. Malheureusement pour moi, ce n’est ni la première, ni la dernière. Je me sens un peu comme la girafe dans Very Bad Trip 3. Bref, je me frotte le front sous les rires de Guillaume et nous continuons notre ascension. La dernière demie heure menant au mirador Britanico est plutôt pentue et va même jusqu’à se transformer en escalade. On se retrouve ainsi au sommet avec un panorama à 360 degrés sur les massifs environnants. On se sent si petits au cœur des monts enneigés. Guillaume immortalise ces paysages merveilleux tandis que j'en profite pour faire une petite sieste à même la roche. C’est bien la première fois que ma sur-capacité à m’endormir n’importe où me pousse à faire une sieste sur un site protégé UNESCO. Il y a une première à tout !
Entre ma petite forme et Guillaume qui commence à sentir une douleur au pied, on commence à se questionner sur nos capacités physiques. Dire qu'on n'a pas encore 30 ans, ça promet ! On entame les 5 heures de redescente. La pluie s'invite en fin de journée, ce qui rend les derniers kilomètres interminables. C’est là qu’on se rend compte à quel point la fatigue agit sur le mental et l’importance de la météo pour ce genre d’activités. Mais nous sommes fiers d’avoir enchaîné ces trois journées de marche et bravé le froid nocturne. Nous ne sommes pas habitués à autant de marche, ni en tant que bretons, à autant de dénivelé. Cela dit cette première expérience n’est pas tout à fait terminée puisqu'il nous faut encore sortir du parc.
Jour 4 : Sendero Pehoé/administración – 18 km – 5 h – 53 D+
En cette quatrième journée, nous quittons le parc national de Torres del Paine. Le soleil en fait de même, nous laissant partir sous quelques gouttes qui disparaissent après le premier kilomètre. Cette section de randonnée est peu empruntée car bien moins intéressante que les sentiers situés à l’intérieur du parc. Cela dit, elle a l’avantage de nous éviter de payer le bateau du lac Pehoe une seconde fois. Et puis a posteriori, elle offre quelques jolis points de vue et est relativement plate, ce qui est plutôt agréable.
Les premiers 300 mètres nous font un peu déchanter. Il s’agit d’escalader des pierres humides à flanc de falaise, en tenant compte du déséquilibre apporté par nos deux sacs à dos. Bien que ces derniers comptent bien moins de nourriture qu’à l’aller, ce quatrième jour de randonnée se fait sentir physiquement. Heureusement le sommet s’atteint en quelques dizaines de pas et offre un magnifique panorama sur le lac Pehoe. Le temps maussade ne met pas en valeur le bleu du lac, contrairement au premier jour où nous l’avons traversé. Il n’en reste pas moins plaisant à regarder, surplombés des montagnes qui l’entourent.
A partir de là, nous enchaînons plus ou moins 17 kilomètres de plat, suivant un chemin parfois à peine visible entre les hautes herbes. C’est simple, on se croirait dans le champ de blé de la publicité pour Chocapic. Au beau milieu de la randonnée, on s’aperçoit même qu’on ne voit ni le début ni la fin de ce chemin sauvage. Une impression d’infini qui donne un certain charme à cette marche presque trop plate. Avant d’arriver au lieu-dit « administration » nous profitons d’une section qui domine la rivière Grey. Quelques personnes la descendent en kayak. En voyant la vitesse avec laquelle le courant les propulse, on comprend pourquoi cette dernière ne s’emprunte que dans un sens. A notre rythme, nous atteignons l'arrivée après environ 5 heures de marche. Il ne nous reste plus qu'à attendre le car qui nous ramenera à Puerto Natales.
C’est ainsi que s’achèvent ces 4 jours de randonnée dans l’incroyable parc national chilien Torres del Paine. Nous nous savons à présent capable de parcourir d’assez grandes distances à pied avec du dénivelé et avons pris conscience du confort des bâtons de marche. Cette première expérience de trek en autonomie est un réel succès. Nous sommes sous le charme de la sensation de liberté que ce moyen de déplacement procure, surtout en évoluant entre de tels paysages. On s’estime heureux d’avoir bénéficié d’une météo favorable sur l’ensemble de notre séjour et d’avoir évité la foule en s’y rendant autour des fêtes de fin d'année. Concrètement, nous n’avons aucun regret, et nous pensons déjà repartir sur une randonnée autonome dans la capitale du trekking argentin : El Chalten.