Chiloé est la deuxième plus grande île d’Amérique du Sud après la Terre de Feu ; d’où son nom complet « Isla Grande de Chiloé ». Elle appartient à l’archipel du même nom qui se compose d’une trentaine d’îles. En matière de superficie, on pourrait la comparer à la Corse. Mais en ce qui concerne la densité de population, on n’en atteint pas la moitié. Il faut dire qu’en dehors des villes côtières, l’île comporte un grand nombre de parcs inhabités et de zones désertiques.
Au-delà de notre affection pour les îles en général, nous savons que Chiloé est surtout réputée pour son charme traditionnel. Non sans mal, nous prenons la décision de délaisser une portion de la Carretera Austral afin d’en juger par nous-même. Et pour être honnêtes, l'idée de déguster des produits de la mer a largement fait pencher la balance.
Côté logistique nous avons visité l’île du sud vers le nord, réalisant avec succès la majorité de nos déplacements en stop. Seule la météo nous a donné du fil à retordre. Mais ne ferait-elle pas partie des raisons pour lesquelles nous avons succombé au charme de Chiloé ?
Une architecture où le bois est roi
Les « palafitos » : histoire d’une vie sur pilotis
Sur l’île de Chiloé, le bois règne en maître. Il fait partie des matériaux les plus abondants de l’île depuis des centaines d’années, justifiant ainsi son exploitation considérable. Un rapide coup d’œil sur les villes côtières permet de réaliser que la quasi-totalité des habitations sont construites en bois. Mais ce qui en fait l’originalité, ce sont leurs pilotis.
Ces maisons qui semblent avoir les pieds dans l’eau sont ici appelées « palafitos ». Leurs entrées donnent sur la rue tandis qu’elles possèdent toutes une terrasse supérieure donnant sur la mer. Chacune étant recouverte de tuiles de bois colorées, mon imaginaire débordant y verrait presque les écailles d’Arc-en-ciel, mon poisson favoris. En plein cœur d’une île de pêcheurs, suis-je la seule à penser qu’il ne peut s’agir du fruit du hasard ?
Revenons-en à nos maisons ! Le style marin de ces habitations n’a pas pour objectif de satisfaire nos âmes d’artistes mais plutôt de faciliter la vie des personnes qui vivent de la mer. Cela leur permet d’avoir un accès privilégié aux embarcations, parfois directement amarrées aux rondins de bois qui supportent lesdites maisons. Un positionnement qui n’en reste pas moins idéal lorsque la marée se retire, facilitant la recherche de fruits de mer à même le sol.
C’est à Castro que ces habitats étonnants sont le plus visible. Mais il en existe également plus au nord, comme dans la ville d’Ancud. Leur charme varie au fil des saisons, arborant des contrastes plus ou moins marqués en fonction de la météo. Celle-ci sévissant sur la région sans faire de cadeau, les constructions ont fort heureusement été pensées en conséquence.
Créés au cours du XIXème siècle dans le cadre d’une expansion commerciale maritime, les palafitos font aujourd’hui le charme de Chiloé et ne semblent pas voués à disparaître, pour notre plus grand bonheur.
Les églises : métissage culturel d’un savoir-faire terre-mer
Ces édifices religieux font partie intégrante de l’identité de l’île. Leur architecture unique se démarque grandement des églises du continent, contribuant ainsi au charme chilote. La majorité d’entre elles datent du 17ème et 18ème siècle, alors que l’archipel étaient encore une possession espagnole.
La plupart sont parvenues à traverser 4 siècles d’histoire mais toutes n’en sont pas sorties indemnes. C’est pourquoi le gouvernement chilien a octroyé un important budget de restauration dans les années 90, laissant aux artisans locaux le soin de redonner aux églises chilotes leur plus belle apparence. On parle là d’un travail titanesque puisqu’il n’existe pas moins de 300 églises sur l’archipel, dont 70 sur l’île majeure qu’est Chiloé. On évoque même la présence d’une école chilote d'architecture religieuse en bois, c’est pour dire l’importance portée au projet. Arborant leurs plus belles couleurs, 16 de ces constructions ont rejoint la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO au cours de l’année 2000. Une récompense amplement méritée qui souligne leur beauté mais bien plus encore.
Ce qui rend les églises chilotes si remarquables, c’est le lien étroit que l’on peut observer entre la culture religieuse et les techniques du peuple local. Un simple coup d’œil permet de savoir que les constructions sont toutes faites de bois mais c’est en entrant à l’intérieur que leur beauté prend tout son sens. Si vous levez les yeux, vous verrez que le plafond des édifices est réalisé à la manière d’une coque de bateau retournée. Preuve que la portée du savoir-faire maritime a su s’étendre à bien des domaines, ce qui le rend d’autant plus impressionnant.
L’office du tourisme d’Ancud propose de parcourir un circuit nommé « route des églises » ; un axe routier parsemé d'églises qui traverse l'île du nord au sud. En ce qui nous concerne nous avons choisi de nous laisser guider par le hasard de l’auto-stop et n'avons pas été déçus.
Ainsi nous avons été subjugués par les couleurs vives et l’immensité de l’église Saint-François à Castro. L’intérieur démesuré ne permet que trop bien d’apprécier le travail minutieux dont les ouvriers ont fait preuve. Celle de Tenaún, Notre-Dame-du-patronage, est toute aussi criarde et arbore un bleu envoûtant. Elle a la particularité de posséder deux étoiles et 3 clochers, contrairement à toutes les autres qui n’en ont qu’un. Bien que colorée, celle de Cucao n’a pas le droit à sa place dans la liste des 16. Celle d’Achao (situé sur l’île de Quinchao) en revanche est plutôt terne mais possède le titre de plus vieille église de bois de l’archipel (Notre-Dame-de-Lorette).
Le grand retour du poisson dans nos estomacs bretons
Côté gastronomie, l’île de Chiloé sait nous séduire. Après avoir passé plusieurs mois à longer mers, détroits, lacs et océans sans manger le moindre poisson, le moment est enfin venu de nous rattraper. Ici les fruits de mer sont à l’honneur et le saumon est le roi des poissons. Ce dernier fait partie des exportations majeures de la zone, soulevant régulièrement des problématiques éthiques, sociales et environnementales. Une chance que nous ayons pu le consommer localement car il est vraiment très bon !
Nous l'avons d'ailleurs dégusté sous forme de cancato, un plat typique chilote. Imaginez un pavé de saumon frais recouvert de tomates, de poivrons, d’oignons, d’épices et de … fromage. La cuisson des légumes aromatise à perfection le poisson qui nous est servi, sans grande surprise, avec des frites. Une sorte de pizza dont la pâte serait un saumon, en somme. Eh bien contre toute attente, c’était excellent et nos aprioris ont disparus aussi vite que le contenu de notre assiette.
Mais LE plat emblématique de l’île reste le curanto ; un savant mélange de fruits de mer, de viande et de légumes. Selon la règle, le plat doit être cuit dans la terre, sur un lit de pierres chaudes, recouvert de grandes feuilles. Une tradition qui ne court plus les rues et qui est bien trop souvent remplacée par un mode de cuisson des plus classiques. Ne possédant pas d’informations fiables sur les lieux permettant d’apprécier un curanto traditionnel, nous nous sommes résignés à faire une croix dessus. On espère cependant que l'occasion se représentera.
Nous gardons par ailleurs un souvenir mémorable du restaurant Mercadito où nous avons apprécié des mets d’exception parfaitement cuisinés et présentés. Dans un registre plus décontracté, nous nous sommes régalés dans les cuisines de Dalcahue, où 7 familles préparent chaque jour des recettes locales sous nos yeux ébahis avec des produits du terroir. A Castro, directement sur le port, nous avons fêté notre premier ceviche, du poisson cuit en marinade (du saumon en l’occurrence) saupoudré d’épices et de condiments. Je ne peux m'empêcher de l'accompagner d'une sopaipillas (un pain frit chilien qui m'aura bien valu 2 kgs supplémentaires à la fin du séjour). Il nous tarde à présent de découvrir la gastronomie péruvienne dont le ceviche est si réputé !
Les trésors cachés de Chiloé
Impossible d’évoquer les villes chilotes sans parler de leurs ferias. Il s’agit de marchés de créations artisanales généralement situés aux abords des marchés alimentaires. On y retrouve beaucoup de laine tricotée, qu’il s’agisse de confection de vêtements, de bijoux ou d’objets décoratifs. J’y vois une grande similitude avec les petits rideaux crochetés qui décorent les fenêtres de l’île d’Ouessant.
Côté nature, nous ne sommes pas prêts d’oublier la côte ouest et sa météo impitoyable. Il existe, près du village de Cucao, un ponton de bois surplombant l’océan Pacifique : Muelle de las Almas. L'histoire dit que c'est ici qu'errent les âmes perdues en mer. Ce dernier est accessible depuis un chemin de randonné qui peut s’avérer aussi agréable que dangereux. En ce qui nous concerne, nous avons subi l’arrivée soudaine d’une tempête comme nous n’en avions jamais vue : une pluie torrentielle imbibant littéralement toutes nos couches de vêtements accompagnée d’un vent dépassant amplement les 100 km/h. Alors que la pluie nous fouettait le visage, nous avons dû nous accroupir à plusieurs reprises pour ne pas nous faire emporter par les rafales. Nous apprendrons a posteriori que nous sommes les seuls à avoir pu atteindre le ponton ce jour-là et ne regrettons pas nos efforts.
Retour sur notre itinéraire
Quellón
Partis de Chaiten à bord d’un ferry, c’est ici que nous avons accosté. Il s'agit de la dernière grande ville chilote du sud de l’île. Pour la petite histoire, c’est ici que s’arrête la Panaméricaine, route mythique qui traverse les Amériques depuis l’Alaska. Le petit port de Quellón ne dégage pas un charme fou mais il a le mérite de nous mettre dans le bain. Nous sommes ravis d'y retrouver les copains voyageurs Anne, Manon et Quentin. Il sont d'accord avec nous sur un point : Chiloé possède une forte identité et dénote sérieusement du Chili continental.
Ferry Chaiten-Quellon : 15 000 CLP par personne
Camping Quellon : 3 500 CLP par nuit et par personne (jardin chez l'habitant)
Cucao
La côte ouest de l'île est bien trop souvent délaissée des voyageurs. Elle n'est pourtant pas si excentrée et s'avère facilement atteignable depuis Castro. On y retrouve le venteux « Muelle de las Almas » et un climat bien trempé. Avis aux plus téméraires : un deuxième ponton nommé « Muelle del Tiempo » en forme de spirale se trouve plus au sud, tandis que la jolie plage Cole Cole se situe quelques kilomètres plus au nord. Dans la mesure du possible, attendez un petit rayon de soleil pour vous y engager (ce conseil est valable pour la visite de l'île dans sa globalité).
Camping Cucao : 5 000 CLP par nuit et par personne
Entrée Muelle de las Almas : 1 500 CLP par personne
Bus Cucao-Castro : 2 000 CLP par personne
Castro
Capitale de l'île, Castro est un point d'ancrage stratégique si vous souhaitez rayonner sur l'archipel. Située au centre de la côte est, la ville est probablement la mieux desservie de toute l'archipel par les transports en commun. Vous y trouverez également de nombreuses infrastructures modernes et d'excellents restaurants.
Donde Baboun : 8 500 CLP par nuit et par personne (chambre chez l'habitant - eau chaude et chauffage)
Mercadito : 17 000 CLP par personne (proche du restaurant gastronomique - entrée, plat, dessert, vin)
Marché : 2 500 CLP pour un ceviche, 100 à 500 CLP pour une sopaipillas, 1 000 CLP pour une papa rellena ou une empanada.
Dalcahue
En voilà une belle surprise ! Ce petit port de pêche abrite d'excellentes cuisines qui sauront ravir vos papilles, au même titre qu'elles ont ravi les nôtres. On y trouve un joli ciel bleu et un accès en ferry pour l'île de Quinchao, réputée pour son lien avec le monde de la sorcellerie.
Camping Dalcahue : 5 000 CLP par nuit et par personne
Feria : environ 1 000 CLP par unité (empanadas, papas rellenas, sopaipillas ...)
Achao
C'est la petite déception du séjour. Hormis la présence de la plus vieille église de bois de l'île, ce minuscule village situé sur l'île de Quinchao n'a pas retenu notre attention. Moins charmant que Dalcahue, moins pratique que Castro, moins sauvage que Cucao ... C'est peut être bien le seul arrêt que nous ne recommandons pas (mais libre à vous d'aller y construire votre propre opinion).
Transport Dalcahue-Achao : 2 800 CLP par personne
Tenaún
Il aurait peut être été bon de le savoir avant, alors on le précise aujourd'hui : d'un point de vue touristique, ce village microscopique ne possède qu'une église et rien d'autre. C'est quand on s'y est retrouvés qu'on a commencé à se poser des questions. On ne remerciera jamais assez la chance d'avoir croisé un pick-up pour nous remonter jusqu'à Ancud par la suite. Sans ça, nous aurions attendu des heures dans le froid. Bien organisés, on pense que l'arrêt est à ne pas rater car il possède l'église la plus élégante de l'île à notre goût.
Ancud
Désabusés par le froid et la pluie incessante, nous n'avons fait qu'un arrêt express dans la ville d'Ancud. Elle est la plus grande de l'île et possède par conséquent de nombreux attraits touristiques, à savoir une Pinguinera et le départ de la route des églises.
Cancato : 6 500 CLP par personne (possible de partager en 2)
Bus Ancud-Puerto Montt : 5 000 CLP par personne
Le détour en vallait-il la peine ?
Nous gardons de Chiloé un excellent souvenir humain, visuel et gustatif. Sa forte identité la différencie nettement de ce que nous connaissions déjà du Chili. Nous avons pris plaisir à retrouver le contact de la mer et ses embruns qui nous avaient tant manqués. Sans parler de la quantité de poissons et fruits de mer que nous avons dévoré.
Les chilotes, malgré leurs aires solitaires, nous ont réservé un excellent accueil et nous nous sommes encore beaucoup déplacés en stop à leurs côtés. Quant au sujet de la météo, on aimerait pouvoir vous conseiller une meilleure période afin d'éviter les intempéries mais nous y étions nous même en plein été et n'avons pas été épargnés. Il faut croire que la pluie fait partie du voyage et en ce qui me concerne je la préfère nettement au froid. Probablement une question d'habitude.